Tout commença par un banal coup de fil...
- Allo ?
- Oui..
- Est-ce que tu pourrais aller voir au Leclerc Blagnac si ils ont une caisse à jouet pour Tiboutchou qui est dans leur catalogue de promotions ? Ils en ont plus à St-Orens. C'est une caisse en bois verte à roulettes, avec des petites voitures dessinées dessus.
- Euh... ok, je vais voir.

Armé de ces maigres informations, je me lançai dans une quête qui s'annonçait simple et certainement rapide. Mais c'était sans compter sur la fourberie des gardiens du temple de la Grande Consommation. La difficulté de la tâche commença à m'apparaître alors que je franchissai le large portique marquant l'entrée du temple. D'un oeil averti en vaut deux, je passai en revue les rayons, scrutant chaque tête de gondole et analysant dans les moindres détails les catégories d'articles qui s'y entaissaient.

A mon grand désespoir, je ne découvris aucune trace du précieux coffre. Les innombrables étalages du rayon jouet regorgeaient de jeux en soldes. Mais de caisse à jouets, point. Pas plus qu'au rayon puériculture. Et un parcours rapide du magasin ne révéla pas plus d'indice. Je me dirigeai alors vers le repère des gardes, armé du grimoire dans lequel était dépeint le trésor, page 8, parmi les autres articles en promotion du 10 au 20 janvier.

Avec audace, je tente l'intimidation :
- Dites, cette caisse à jouet, là, c'est où que je peux la trouver ?

Surprise par cette approche osée, l'amazone tente un repli, et, après avoir invoqué quelque oracle dans son combiné, me répond par une absconse énigme métaphysique :
- Ca doit être au rayon puériculture. Par là-bas, là où il y a les soutiens-gorges d'allaitement, c'est par là que vous devriez les trouver.
- Merci, lui répondis-je sans ciller.

Je m'élançai alors dans la direction qu'elle avait semblé indiquer et ne tardai pas trouver les fameux soutiens-gorges. Avec bien rangés juste au-dessus, une pile de bac à roulettes en plastique. Je compris alors immédiatement qu'on s'était joué de moi en m'envoyant vers une grossière contrefaçon qui n'aurait trompé personne. Je retournai donc dans l'antre des walkyries, non sans une brève mais efficace inspection des alentours.

Plus menaçant que jamais, je les sommai d'avouer la véritable cache du Saint Graal :
- Excusez-moi, mais je n'en ai pas vu dans le rayon. Est-ce qu'il ne vous en resterait pas en réserve ?
- Ah, je sais pas, je vais voir.

La crainte commençait à se lire dans son regard. Alors qu'une angoisse terrible étreignait sa poitrine, elle investit ses dernières forces dans une maneuvre de la dernière chance :
- Euh, j'ai un client qui cherche le petit chariot pour ranger les jouets... Ah, c'est pas ton rayon ? Ok merci... Allo ? Oui, j'ai un client qui veut la caisse à jouet à roulettes, oui le petit chariot... Ah, c'est pas ton rayon ? Euh... Ok, je t'attends.

Arriva alors une de ses comparses, avec laquelle elle se livra à un curieux manège :
- Oui, c'est celui-là, là, en bas de la page.
- Ah, mais c'est pas nous, ça. T'as demandé au rayons jouets ? Non ?
- Ah non, c'est pas notre rayon. On n'a pas vu ça au rayon jouet. Peut-être le rayon ménage.
- Non, non, on n'a pas vu passer ça chez nous.
- Et le rayon puériculture alors ? Vas-y, appelle-la.
- Ben non, c'est pas eux non plus.
- Eh, dites, ça serait pas le rayon meuble des fois ?
- Ah, t'as peut-être raison, je l'appelle... Ah ! Ca y est ! C'est ça ! C'est au rayon meuble !
- Bon, ben je retourne à mon rayon, je vais l'amener jusque là-bas...

D'un geste énigmatique, elle m'enjoignit de la suivre, ce à quoi j'obtempérai, prenant toutfois soin de rester sur mes gardes. La diversité des stratagèmes employés pour perdre les valeureux chevaliers me poussait à la plus grande prudence.

- Voilà, c'est là, vous avez des vendeurs là-bas...

Soulagée d'avoir rempli sa mission, elle s'éloigna d'un pas rapide, tandis que je cherchai les fameux Vents d'Heure. Rien. Personne. Je résolus alors de poursuivre mes investigations à nouveau seul, avec la conviction que je n'étais plus très loin du but. Quelques courtes minutes plus tard, j'exultai devant l'aboutissement de mon dangereux périple :

- Ah mince, y'a que des roses. Peut-être qu'il reste un vert dans ces cartons. Rhaaaa... Mais ils peuvent pas marquer quelque chose sur ces cartons ? Au moins le le nom du produit, quoi... Et puis sa couleur. Bon, tant pis, j'en ai marre, je les ouvre...

C'est à ce moment-là que le miracle se produisit : tandis que j'entaillai le scotch du premier emballage, je discernai à l'intérieur ce qui ressemblait au côté d'une caisse en bois verte.

- Victoire ! m'écriai-je, mais sans bruit.

Je partis alors à grandes enjambées vers la sortie, emportant le butin sous le bras. Et alors que je croyais la fin de l'aventure arrivée, je réalisais qu'il me fallait encore confronter le Sphynx avant de pouvoir m'échapper.

- Qu'est-ce qui a quatre jambes... Euh, c'est quoi, dans ce carton ? me lança-t-elle d'un air d'autoroute suspicieux.
- Vous avez le code-barre ici. C'est un chariot pour ranger des jouets. On peut l'ouvrir si vous voulez... lui répondis-je, assuré.
- Non, non, c'est bon, capitula-t-elle.
- Stop ! m'écriai-je tandis qu'elle enchaînait sur les articles de la cliente suivante.
- Ah pardon, s'excusa-t-elle, confuse.

Terrorisée à la vue de ma carte Visa, elle n'osa plus m'importuner et me laissa m'éloigner d'un pas serein tandis que le soleil se couchait sur les lointaines collines pour retourner à ma voiture. Mission accomplie. Tiboutchou aura sa caisse à jouets.