Des fois, je m'interroge sur la raison d'être de mes séances photos. Qu'est-ce qui me pousse à proposer des séances à toutes ces jolies filles ? L'amour de la photo, c'est vrai, le plaisir qu'il y a à faire de belles images, c'est certain. Mais derrière cela, j'ai peur de ce qui peut se cacher. J'ai peur de collectionner les jolis portraits comme d'autres accumulent les conquêtes. A défaut de gagner leur coeur, je capte leur sourire, j'emprisonne leur regard. J'enregistre une expression sur mon capteur en espérant que c'est à moi que certaines sourient et pas seulement à l'objectif.

Pour beaucoup de photographes, la séance photo avec un modèle, c'est l'occasion d'échanger, de partager. Et c'est aussi ce que je découvre à chaque fois : une occasion de discuter et d'apprendre à connaître un petit peu mieux ces personnes dont je ne suis pas forcément proche au départ. Mais est-ce que ça s'arrête là ?

Moi qui ne suit pas forcément à l'aise dans un grand groupe, je profite de ces petits moments d'intimité, ces moments où je peux accaparer l'attention de l'autre et lui donner toute la mienne. Moi qui me sens perdu, dilué, transparent lorsque je me retrouve au milieu de trop de monde, je retrouve mon identité dans ces moments-là, l'impression de ne plus être simplement traversé par les regards sans être vus.

L'espace d'un instant, elles me font confiance, elles ne m'ont pas repoussé. Mais dès la séance terminée, il me faut reprendre ma place habituelle, dans l'ombre, à l'écart. Tout au plus, j'aurais droit à quelques félicitations si le résultat plait. Mais qu'il est pathétique le sort du photographe qui en est réduit à essayer d'emprisonner un sourire, de garder la trace d'un regard qui ne lui était même pas adressé.