Cela fait quelques semaines que la rentrée des classes est passée. Depuis quelques jours, toute le collège est en effervescence : l'élection des délégués approche. Le petit Nicolas est le premier à revendiquer le rôle, mais sa camarade Ségolène nourrit les mêmes ambitions. Aussi le professeur d'éducation civique décide de profiter de la fin de la leçon du jour pour aborder le sujet.

- Nicolas, pourquoi veux-tu être délégué ?
- Pour faire régner l'ordre dans la classe !
- Ah oui ?
- Oui ! Si je suis élu chef de la classe...
- Tu veux dire délégué ?
- Euh oui... Si je suis délégué, je vais dire au principal qu'il faut un pion dans chaque salle et des heures de colles pour ceux qui n'ont pas la moyenne.

Le premier rang commence à s'exciter en félicitant Nicolas, tandis qu'un brouhaha désapprobateur commencent s'élever dans le fond de la pièce.

- Et tu ne crois pas que ton rôle en tant que délégué serait plutôt de discuter avec ceux qui ont des problèmes pour l'expliquer aux professeurs en conseil de classe, pour qu'on puisse les aider à remonter leur moyenne ?
- Mais si on fait ça, on va devenir moins bon que la quatrième D, Monsieur ! On doit rester les meilleurs du collège !
- Mais la quatrième A est déjà devant vous, Nicolas.
- Pas pour longtemps ! Si on applique mes propositions, on va les dépasser au prochain trimestre !
- Et pourquoi serais-tu un meilleur délégué que Ségolène par exemple ?
- Parce qu'elle ne sait pas parler, Monsieur. Pour assister au conseil de classe, il faut bien parler. Et elle, soit elle endort tout le monde, soit elle dit des mots qui n'existent pas. C'est pas crédible comme délégué. Et puis elle parle jamais aux autres classes. Moi, je connais plein de gens dans les autres quatrièmes, et même chez les troisièmes. Et puis je connais bien tous nos profs, donc je suis mieux placé pour être délégué.

Le professeur se tourne alors vers la rivale :

- Et toi Ségolène, tu penses pouvoir être une bonne déléguée ?
- Bien sûr ! La meilleure !
- Et pourquoi cela ?
- Parce qu'en tant que fille, je fais partie d'une minorité exploitée, donc je comprends mieux mes camarades pour les défendre. Je suis mieux qualifiée pour assurer la déléguitude de la classe.
- Vraiment ?
- Oui. D'ailleurs, je vais proposer que les élèves puissent élire les profs comme les délégués pour que les conseils de classes soient plus équitables. Et puis les élèves devraient aussi pouvoir mettre des colles aux profs quand ils ne sont pas à la hauteur.

Toute la classe applaudit, à part le petit François qui se met en colère :

- C'est n'importe quoi ! Tu dis juste ça pour qu'on vote pour toi, mais tu pourrais jamais le faire. Les profs seraient pas d'accords.
- Et tu penses pouvoir faire mieux, François ?
- C'est clair ! Mais personne ne m'écoute quand je le dis, parce que vous ne parlez que de Ségolène et de Nicolas !
- Et qu'as-tu à proposer alors ?
- Euh, je sais pas... Mais je suis pas un fayot comme eux !

Au fond de la classe, le petit Jean-Marie lève la main.

- Oui, Jean-Marie ?
- M'sieur, moi aussi, je veux être délégué.
- Toi aussi ? Tu veux encore tenter ta chance ? Pourtant tu n'as jamais été élu les autres années. Pourquoi veux-tu encore te présenter ?
- Parce que Ahmed a pris le meilleur casier, alors que je l'avais réservé depuis l'année dernière. Moi, ça fait plus longtemps que lui que je suis dans cette classe, donc j'aurais du avoir le casier.
- Et où est le rapport avec l'élection des délégués ?
- Eh ben si je suis délégué, je dirai au principal de renvoyer Ahmed dans son ancien collège pour qu'on aie tous des meilleurs casiers.
- Tous des meilleurs casiers ? En renvoyant Ahmed ?
- Ben y'a sa soeur aussi...
- Et tu trouves ça juste de les renvoyer pour avoir leurs casiers ?
- Mais j'étais là avant eux !

Ahmed s'indigne à son tour :

- Jean-Marie, c'est qu'un xylophone !
- Pardon, Ahmed ?
- Ben un raciste, quoi...
- Ah ! Un xénophobe !
- Ben oui, voilà.

Soudain, la sonnerie de la cloche interrompt le débat. Tandis que les élèves se pressent pour sortir de la salle, le professeur pousse un long soupir en retournant à son bureau.

- Dire que c'est l'un d'entre eux qui va devenir le porte-parole de ses camarades. Heureusement qu'ils ne font pas de la politique...