De la complexité croissante des modes de conversation
Par Spica le Mardi 12 juin 2007, 09:02 - Questions existentielles - Lien permanent
On dit que l'on n'a jamais eu autant de moyens de communications à notre disposition qu'aujourd'hui, et pourtant qu'on n'a jamais eu autant de mal à communiquer qu'aujourd'hui. Certains mettent ça sur le compte de ces nouvelles technologies qui dénaturent les rapports humains et nous isolent dans notre bulle au lieu de nous aider à nous ouvrir et à dépasser le stade des relations superficielles. En ce qui me concerne, je crois que la raison derrière cela est beaucoup plus simple : Internet a permis d'amplifier un phénomène déjà existant, augmentant à l'extrême la complexité de nos échanges, j'ai nommé les conversations multithread.
Bon, alors premièrement, qu'est-ce que c'est que ce gros mot que je viens d'employer, multithread ? Je sais que tous mes lecteurs ne sont pas geeks dans l'âme, donc petite explication : le multithread, c'est un terme qu'on utilise en programmation pour désigner la capacité d'un programme à faire plusieurs choses à la fois. Comme votre traitement de texte qui enregistre le fichier pendant que vous continuez à taper, tout en vérifiant que vous ne faites pas de fautes d'orthographe.
Alors quel rapport avec les conversations ? Eh bien remontons au tout début. Au début donc, alors même que les parents des parents de mes parents n'étaient même pas encore dans les pensées de leurs parents, il y avait des formes de communications simples, pour ne pas dire primitives, comme la lettre sur papier (voire même papyrus, parchemin, cire, argile ou tout autre matériau dépourvu d'électronique). Cette lettre traitait d'un ou plusieurs sujets, que l'auteur identifiait clairement, et le destinataire répondait ensuite par une autre lettre à l'ensemble de ces sujets. Cette réponse, d'une longueur généralement comparable, permettaient de déterminer sans ambigüité, même si ce n'était pas explicitement indiqué, à quelle question répondait tel ou tel paragraphe.
Vu le temps nécessaire pour acheminer la missive, il valait mieux être clair dans ses propos. Imaginez seulement qu'il y ait un mal-entendu dans l'invitation au mariage du petit cousin Herbert et qu'il faille échanger deux messages supplémentaires pour tirer les choses au clair, sachant que le trajet prend huit semaines et que l'événement lui-même est programmé pour dans trois mois ? Un tel retard aurait empêché tante Gertrude d'être présente, et tonton Robert aurait pu croire que c'est à cause de la blague un peu lourde qu'il a faite au nouvel an que sa belle-soeur n'est pas venue. De quoi saboter au plus haut point la douce harmonie qui règne entre tous les membres de la famille...
Bref, plus ça prend de temps pour voyager, plus il faut prendre le temps de rédiger, pour éviter les quiproquos et les sous-entendus abscons. Mais avec le modernisation de notre société technologique, les échanges se sont accélérés, et avec eux, la vitesse à laquelle il faut taper. Alors qu'il y a dix ans, vous rédigiez deux paragraphes sur la santé de l'oncle Alphonse et quatre lignes supplémentaires pour décrire le temps absolument fabuleux de ce mois de juin sur une journée entière, aujourd'hui, vous demandez en même temps des nouvelles de la santé d'Albertine, du CDI que devait signer Cousin Gilbert et du désert sentimental que traverse cousine Hortense, tout ça en l'espace de quelques secondes dans une fenêtre MSN, sans même laisser le temps à Yolande de taper sa réponse avec ses deux doigts.
Et quand vous lisez l'énigmatique "ça pourrait aller mieux", devinez à laquelle des propositions précédentes répond cette lapidaire sentence ? Albertine va-t-elle enfin vous léguer sa fortune ? Gilbert vient-il encore de perdre un emploi, le douzième en trois mois ? Hortense a-t-elle rencontré le prince, mais pas charmant, ni riche, ni beau, ni intelligent, ni même prince d'ailleurs ?
Voilà le défi que renferment nos modes de communications actuels. Alors certes, certains ont bien pensé à des méthodes pour palier à ce manque de clarté, comme changer de police ou de couleur à chaque nouveau sujet, voire même préfixer chaque phrase par un code alphanumérique permettant de suivre sans erreur possible le ou plutôt les fils de la discussion[1], mais cela serait finalement contre-productif.
Autant revenir aux bonnes vieilles méthodes. A vos plumes, chers lecteurs ! Il est temps de jeter votre ordinateur pour redécouvrir le plaisir d'échanges limpides avec toutes les personnes de votre entourage. Ou vous pouvez continuer à rigoler devant votre fenêtre MSN parce que la coupine de l'autre bout de la France ne sait plus si vous parlez de George Clooney, de votre prof ou de son mec avec votre "Comment je le kiffe trop grave en ce moment !"
Notes
[1] Qui a dit que je réfléchis trop ?
Commentaires
Ouais en même temps, c'est pas forcément incompatible... rien ne nous empêche d'écrire un mail clairement... c'est vrai que ça ne remplacera jamais une lettre mais c'est complémentaire... (pour ma part mes lettres ne sont d'ailleurs pas forcément plus limpides que mes mails... Quand à MSN, c'est vrai que c'est particulièrement merdique, c'est d'ailleurs pour ça que je ne l'utilise jamais... d'abord, ça m'énerve d'être une fenêtre parmis tant d'autres, ensuite, je me suis rendue compte que très vite, quand je discutais avec quelqu'un (la même personne) plusieurs fois de suite, j'avais plus forcément envie de lui parler les fois suivantes... et puis le coup de se mettre en absence quand on l'est pas, le coup de se voir sans se saluer... je trouve que c'est un vrai générateur de conflits interpersonnel... à moins de n'avoir que quelques contacts, ce qui n'est pas possible étant donné que t'as toujours quelqu'un pour te demander "t'as MSN?"... et on connaît la suite...
Que c'est compliqué... que c'est compliqué...
autant j'ai pu en passer du temps sur caramail et sur icq, avec jusqu'à presque 10 personnes en même temps, autant aujourd'hui j'arrive plus à suivre quand j'ai plus de 2 fenêtres msn ouvertes.... j'adore écrire, j'écris encore régulièrement, avec du vrai papier, des jolis timbres... chais pas vous, mais j'adore recevoir du courrier perso dans ma boite aux lettres physiques, pis je considère qu'une petite carte en carton pour les anniversaires fait plus plaisir d'un mail ou un sms...
j'oublie de préciser, je déteste téléphoner
Moi, je ne me souviens même plus de la dernière vraie lettre ou carte que j'ai pu envoyer (courriers officiels exclus)...
en plus tu ne collectionnais pas les timbres ? (ou alors je me trompe) car il est fréquent que j'écrive à certaines personnes avec un timbre particulier pour pouvoir le récupérer...
Oui, je collectionnais les timbres. Mais je les récupérais surtout sur le courrier de mes parents (ou je les achetais neufs).
Le courrier virtuel et le courrier "réel" c'est quand même pas pareil ... plus ça va et plus on file vers le virtuel ...
Bonne aprés midi
Merci, toi aussi.
Moi aussi j'aime écrire des vraies lettres sur papier avec de jolis timbres. J'ai piqué de gros fous rires sur MSN dans des multiconversations, il y a toujours un moment où on gaffe. J'aime bien le téléphone aussi et les sms, qui demandent parfois un peu d'imagination pour dire des choses en étant concis.
En mode chat (MSN et consorts), je sature souvent au-delà de 2 ou 3 sujets simultanés, mélangés, combinés... Les lettres, j'aime en recevoir, en écrire aussi, mais je ne prends malheureusement pas le temps de le faire.
c'est vrai que cela remplace avantageusement le téléphone où on ne peut pas en placer une, parfois. et puis, le "multithread" (joliiiii! je le recaserai dans une discussion hype) permet parfois de jouer de certaines ambiguités... Eviter certains sujets dont on ne voulait pas spécialement parler...
Comment noyer le poisson au milieu de trois autres sujets. Je le fais parfois, mais ce qui m'embête, c'est quand on attaque un nouveau sujet avant que j'ai réussi à caser ce que j'avais à dire sur le précédent, et c'est comme ça que je continue à parler du premier sujet alors qu'on est déjà au milieu d'un deuxième...
Vala, et dire que tu n'as même pas la décence de répondre aux mels...
Bref, paille, poutre, toussa
Non mais c'est quoi ces accusations ! Je réponds à tous mes mails. Enfin tous ceux qu'on m'envoie à la bonne adresse...
Comme il n'y a ni formulaire de contact, ni adresse visible... je me suis rabattu sur celle découlant naturellement de ton hébergement. Bref, j'ai encore une fois raison : je m'aime ;-p
J'imagine que l'adresse à laquelle tu as écrit devait être valide, mais je ne l'ai jamais utilisée. Et je n'ai pas jugé utile d'ajouter un formulaire de contact parce que le mécanisme des commentaires me semble suffisant. Au pire, ceux qui veulent échanger par mail peuvent le signaler dans les commentaires, et je leur réponds directement.
Pas eu de bounce en effet. Moi, j'aime bien la discrétion (inutile de rire bêtement comme un bossu, on t'a vu !).
Pas de bounce parce que l'adresse existe effectivement (créée automatiquement par l'hébergeur, même si je ne l'utilise pas).