On dit que l'on n'a jamais eu autant de moyens de communications à notre disposition qu'aujourd'hui, et pourtant qu'on n'a jamais eu autant de mal à communiquer qu'aujourd'hui. Certains mettent ça sur le compte de ces nouvelles technologies qui dénaturent les rapports humains et nous isolent dans notre bulle au lieu de nous aider à nous ouvrir et à dépasser le stade des relations superficielles. En ce qui me concerne, je crois que la raison derrière cela est beaucoup plus simple : Internet a permis d'amplifier un phénomène déjà existant, augmentant à l'extrême la complexité de nos échanges, j'ai nommé les conversations multithread.

Bon, alors premièrement, qu'est-ce que c'est que ce gros mot que je viens d'employer, multithread ? Je sais que tous mes lecteurs ne sont pas geeks dans l'âme, donc petite explication : le multithread, c'est un terme qu'on utilise en programmation pour désigner la capacité d'un programme à faire plusieurs choses à la fois. Comme votre traitement de texte qui enregistre le fichier pendant que vous continuez à taper, tout en vérifiant que vous ne faites pas de fautes d'orthographe.

Alors quel rapport avec les conversations ? Eh bien remontons au tout début. Au début donc, alors même que les parents des parents de mes parents n'étaient même pas encore dans les pensées de leurs parents, il y avait des formes de communications simples, pour ne pas dire primitives, comme la lettre sur papier (voire même papyrus, parchemin, cire, argile ou tout autre matériau dépourvu d'électronique). Cette lettre traitait d'un ou plusieurs sujets, que l'auteur identifiait clairement, et le destinataire répondait ensuite par une autre lettre à l'ensemble de ces sujets. Cette réponse, d'une longueur généralement comparable, permettaient de déterminer sans ambigüité, même si ce n'était pas explicitement indiqué, à quelle question répondait tel ou tel paragraphe.

Vu le temps nécessaire pour acheminer la missive, il valait mieux être clair dans ses propos. Imaginez seulement qu'il y ait un mal-entendu dans l'invitation au mariage du petit cousin Herbert et qu'il faille échanger deux messages supplémentaires pour tirer les choses au clair, sachant que le trajet prend huit semaines et que l'événement lui-même est programmé pour dans trois mois ? Un tel retard aurait empêché tante Gertrude d'être présente, et tonton Robert aurait pu croire que c'est à cause de la blague un peu lourde qu'il a faite au nouvel an que sa belle-soeur n'est pas venue. De quoi saboter au plus haut point la douce harmonie qui règne entre tous les membres de la famille...

Bref, plus ça prend de temps pour voyager, plus il faut prendre le temps de rédiger, pour éviter les quiproquos et les sous-entendus abscons. Mais avec le modernisation de notre société technologique, les échanges se sont accélérés, et avec eux, la vitesse à laquelle il faut taper. Alors qu'il y a dix ans, vous rédigiez deux paragraphes sur la santé de l'oncle Alphonse et quatre lignes supplémentaires pour décrire le temps absolument fabuleux de ce mois de juin sur une journée entière, aujourd'hui, vous demandez en même temps des nouvelles de la santé d'Albertine, du CDI que devait signer Cousin Gilbert et du désert sentimental que traverse cousine Hortense, tout ça en l'espace de quelques secondes dans une fenêtre MSN, sans même laisser le temps à Yolande de taper sa réponse avec ses deux doigts.

Et quand vous lisez l'énigmatique "ça pourrait aller mieux", devinez à laquelle des propositions précédentes répond cette lapidaire sentence ? Albertine va-t-elle enfin vous léguer sa fortune ? Gilbert vient-il encore de perdre un emploi, le douzième en trois mois ? Hortense a-t-elle rencontré le prince, mais pas charmant, ni riche, ni beau, ni intelligent, ni même prince d'ailleurs ?

Voilà le défi que renferment nos modes de communications actuels. Alors certes, certains ont bien pensé à des méthodes pour palier à ce manque de clarté, comme changer de police ou de couleur à chaque nouveau sujet, voire même préfixer chaque phrase par un code alphanumérique permettant de suivre sans erreur possible le ou plutôt les fils de la discussion[1], mais cela serait finalement contre-productif.

Autant revenir aux bonnes vieilles méthodes. A vos plumes, chers lecteurs ! Il est temps de jeter votre ordinateur pour redécouvrir le plaisir d'échanges limpides avec toutes les personnes de votre entourage. Ou vous pouvez continuer à rigoler devant votre fenêtre MSN parce que la coupine de l'autre bout de la France ne sait plus si vous parlez de George Clooney, de votre prof ou de son mec avec votre "Comment je le kiffe trop grave en ce moment !"

Notes

[1] Qui a dit que je réfléchis trop ?