Il y a une série télé pas très connue (à part pour les couche-tard) qui me fait beaucoup rire : Earl. C'est l'histoire d'un pauvre gars un peu paumé qui a un jour une sorte de révélation : si sa vie a toujours été aussi misérable, c'est parce qu'il a continuellement fait du tort aux autres. Question de karma. Il décide donc de faire la liste de toutes les mauvaises actions qu'il a pu commettre dans sa vie et de les réparer une par une, autant que faire se peut. En se rachetant pour toutes ses erreurs, sa vie est censée s'améliorer.

D'une certaine manière, il y a un peu de vrai là-dedans : après tout, le simple bon sens suffit pour comprendre qu'en se montrant bon, généreux, attentionné envers les autres, on s'attire des retours plus positifs que lorsqu'on vit aux dépens des autres. Mais s'il est difficile d'aller plus loin dans le raisonnement d'un point de vue purement rationnel, j'ai l'impression que nombreux sont les gens qui ont cette conception de la vie. Une sorte de mélange bizarre entre une vision simpliste du karma et des religions orientales, où chaque acte pèse dans la balance en bien ou en mal, et des restes de tradition catholique, où la pénitence permet d'expier ses fautes.

Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter les gens lorsque qu'un malheur frappe quelqu'un "de bien" : "il ne mérite pas ça", voire même dans la version plus égoïste : "qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?" Comme si chaque événement qui nous atteint, positif ou négatif, était la conséquence directe de notre niveau de mérite. C'est vrai que l'on retrouve cette idée dans la Bible à la base : lorsque Dieu transmet sa loi et ses commandements au peuple d'Israël, il l'accompagne de promesses (paix, prospérité...) pour qui les respecte, et de menaces (guerre, famines...) pour qui les enfreindra. Ce qui a poussé les Israëlites à voir eux aussi le même genre de relation de cause à effet entre la réussite des gens et leurs péchés réels ou supposés.

Pourtant, Jésus lui-même a rappelé à l'ordre ses disciples en dénonçant de ce genre de raccourcis. Face à la question stéréotypée des disciples :

"Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ?"

Jésus est obligé de leur expliquer :

Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché ; mais c'est afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui. Jean 9:2-3

Bref, ceux qui subissent toutes sortes de catastrophes ne sont pas forcément éprouvés parce qu'ils sont plus pécheurs que les autres. L'exemple de Job en est la démonstration : la perte de ses biens, de sa santé, de ses enfants et de tout ce à quoi il peut tenir n'est pas liée à ses fautes, contrairement à ce que cherchent à prouver ses soit-disant amis.

Soit, la Bible dit souvent que Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres (Psaume 62:12, Matth. 16:27, Romains 2:5-6), aussi bien dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament. Mais il y a deux points importants qu'il ne faut pas oublier :

  • le premier, c'est que nulle part il n'est dit que cette rétribution viendra forcément dans cette vie. Bien au contraire, de nombreux versets sont là pour nous rappeler que quoi qu'il ait pu se passer dans notre vie, quoi que nous ayons pu faire ou subir, c'est après la mort physique que viendra le jugement (Héb. 9:27), et selon les cas, la récompense ou le châtiment.
  • le deuxième, c'est que notre appréciation des faits est souvent biaisée. Aux yeux de Dieu, une bonne conduite est le minimum qu'il puisse attendre de nous. Une bonne action n'en rachète pas une mauvaise, pas plus qu'un chirurgien n'échapperait à la condamnation pour un meurtre qu'il aurait commis grâce aux nombreuses autres vies qu'il a sauvées. Sauver des vies était son devoir, en prendre une sa faute, et les deux ne sont pas faits pour se compenser.

Voilà pourquoi le bilan est si négatif aux yeux de Dieu : que l'on soit plus méritant qu'un autre ou pas, au final, nous sommes tous dans le négatif, tous ses débiteurs, et incapables de nous racheter nous-même. Comme le dit Paul aux Romains :

Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu... (Rom. 3:23)

Heureusement, l'histoire ne s'arrête pas là. Au verset suivant, il ajoute :

et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus Christ. (Rom. 3:24)

Chacun peut être pardonné et éviter le jugement terrible qui l'attend, non pas par ses propres mérites, mais par la foi dans le sacrifice de Jésus à la croix

L'homme est justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi. (Rom. 3:28)

Et si ce n'était pas assez clair, l'apôtre enfonce le clou en s'adressant à une autre église :

Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu. Ce n'est point par les oeuvres, afin que personne ne se glorifie. (Eph. 2:8-9)

Pour conclure, ce que je retiens de tout ça, c'est que je suis finalement mal placé pour juger de qui mérite quoi. Après tout, si nous devions être jugés aujourd'hui-même sur nos seuls mérites, nous serions tous condamnés. Aussi je préfère laisser ça à Dieu et me contenter de le remercier de ce que je n'ai plus à m'inquiéter de ce qui m'attend le jour où je passerai devant lui, parce qu'il a déjà payé pour moi et qu'il m'a accordé son pardon non pas comme une récompense, mais simplement par grâce et par amour.