En parlant de Jésus avec certaines personnes (en particulier des témoins de Jéhovah ou des musulmans), il m'est quelques fois arrivé d'être confronté à la fameuse question de savoir s'il était Dieu ou pas, la plus grande objection étant que nulle part dans les évangiles on ne le voit prétendre qu'il l'est. D'ailleurs, même dans le reste des écrits qui le concernent dans la Bible, il n'y aurait pas marqué non plus clairement "Jésus est Dieu", ce qui laisserait à penser que l'idée que Jésus puisse être Dieu soit une invention récente à laquelle n'adhéraient pas les premiers chrétiens.

I respectfully disagree[1] comme disent les cousins d'outre-Manche.

Si je dois concéder qu'on ne voit pas dans la bouche de Jésus les mots exacts "Je suis Dieu", il me semble quand même indispensable d'aller voir comment lui-même s'est présenté avant d'en déduire qu'il n'y aurait pas cru lui-même. Or en parcourant les Évangiles, je suis tombé sur cette phrase singulière dans sa bouche :

Jésus leur dit: En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, je suis.
Jean 8:58

Ce qui peut sembler bizarre, c'est n'est pas seulement que Jésus prétend être antérieur à Abraham (ce qui en soi montre déjà que Jésus affirmait exister avant même sa naissance), mais c'est aussi la tournure de sa phrase. Alors que le lecteur occidental pourrait y voir une simple faute de conjugaison, le Juif y voit surtout une référence évidente :

Moïse dit à Dieu : J'irai donc vers les enfants d'Israël, et je leur dirai: Le Dieu de vos pères m'envoie vers vous. Mais, s'ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je?
Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui suis.
Et il ajouta : C'est ainsi que tu répondras aux enfants d'Israël: Celui qui s'appelle "je suis" m'a envoyé vers vous.
Exode 3:13-14

Jésus n'a pas fait de faute de grammaire en tournant sa phrase de cette façon, mais il s'identifiait de manière évidente à Dieu. D'ailleurs les Juifs ne s'y sont pas trompés puisqu'ils ont réagi au quart de tour :

Là-dessus, ils prirent des pierres pour les jeter contre lui ; mais Jésus se cacha, et il sortit du temple.
Jean 8:59

Et ce genre de situation s'est présenté plusieurs fois puisque l'on voit dans Jean 5:18 l'évangéliste prendre la peine d'expliquer à ses lecteurs, moins au fait de la culture hébraïque, que par ses propos, Jésus se présentait comme l'égal de Dieu :

A cause de cela, les Juifs cherchaient encore plus à le faire mourir, non seulement parce qu’il violait le sabbat, mais parce qu’il appelait Dieu son propre Père, se faisant lui-même égal à Dieu.

Si on se souvient que Jésus a aussi rappelé au scribe qui l'interrogeait dans Marc 12:29 l'unicité de Dieu, on peut en conclure que se faire "égal" à Dieu, c'est se faire Dieu tout simplement.

Ensuite, dans l'évangile de Matthieu, c'est une autre parole de Jésus qui peut nous sembler anodine que j'ai relevée :

Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux.
Matth 18:20

Comment Jésus, s'il avait été un homme comme les autres, aurait-il pu prétendre être au milieu de ceux qui s'assemblaient en son nom, où qu'ils soient ? Il y a déjà là matière à réflexion sur le don d'ubiquité que prétend avoir Jésus, mais il y a aussi et surtout une référence culturelle pour les Juifs qui l'écoutent : par cette formulation, Jésus fait allusion à un ancien texte juif qui disait que lorsque deux ou trois s'assemblent pour étudier la Loi, Dieu est au milieu d'eux. Il a donc paraphrasé cette maxime connue de son temps pour là encore prendre la place qui revenait à Dieu. Ce qui pour un Juif ne pouvait signifier que deux choses : soit il était Dieu, soit il blasphémait.

D'après ces premiers éléments remis dans leur contexte, il apparaît déjà clair que Jésus a choisi avec soin la façon dont il s'est présenté à ses compatriotes. La façon dont ils ont réagi, que ce soit en devenant ses disciples ou au contraire en cherchant à le faire mourir, montre elle aussi qu'ils ont très bien perçu son message. Mais puisque ce billet commence à être long et qu'il me reste encore beaucoup d'arguments, je crois que nous allons en rester là pour le moment et que je poursuivrais la discussion dans un autre billet (ou vraisemblablement plusieurs vu tout ce que j'ai encore à dire sur le sujet !).

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Notes

[1] Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord.