Un silence qui en dit long
Par Spica le Lundi 02 mai 2011, 22:50 - Je pense donc j'écris - Lien permanent
Voici, je vous enverrai Élie, le prophète, avant que le jour de l’Éternel arrive, ce jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères à leurs enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d'interdit.
Malachie 4:5-6
C'est sur ces paroles à la fois terribles et pleines d'espoir que se referme le livre de Malachie, et par conséquent l'Ancien Testament. Terribles car elles concluent toutes une série de malédictions que Dieu annonce au peuple d'Israël à cause de son infidélité par la menace du jour du jugement, du jour "grand et redoutable" de l’Éternel, et parce que ce sont aussi les dernières paroles que le peuple va entendre de la part de Dieu avant plusieurs siècles. Mais aussi pleines d'espoir car elles annoncent par la même occasion la venue de Jean-Baptiste, le nouvel Élie, celui par lequel la parole de Dieu va revenir parmi son peuple et dont la voix criera dans le désert pour préparer la venue du Messie (Esaïe 40:3).
Un temps de silence
En se penchant sur les livres de l'Ancien Testament, un commentateur faisait remarquer un fait étonnant à propos du contenu des Saintes Écritures : malgré la grande diversité des auteurs, on observe que là où un livre s'arrête, un autre reprend la suite. Là où les écrits de Moïse se terminent commence le livre de Josué. Là où s'achèvent les Juges, l'histoire de Ruth prépare le temps de Samuel et des rois d'Israël... Ici pourtant, la fin du livre du prophète Malachie laisse la place à une coupure de près d'un demi-millénaire avant que les textes des évangélistes ne viennent reprendre le flambeau (des prophéties de Malachie aux alentours de -460 jusqu'aux naissances de Jean-Baptiste et de Jésus vers -5).
Pourtant, ce trou dans l'histoire selon la Bible n'est pas anodin et semble respecter la même logique que celle qui s'applique à tous les livres de l'Ancien Testament :
- D'une part, la fin du livre prophétique annonce le retour d’Élie, et c'est par l'accomplissement de cette prophétie, au travers de la conception miraculeuse de Jean-Baptiste, que l'histoire se remet en route. Dans une certaine mesure, on voit donc que le Nouveau Testament reprend là où l'Ancien s'est arrêté et la continuité est préservée.
- D'autre part, on peut se rappeler que mêmes les livres historiques de l'Ancien Testament ne sont pas un simple récit neutre de l'histoire. Ils sont le reflet de l'histoire « selon Dieu ». Non seulement ils racontent l'histoire du peuple de Dieu mais ils apportent surtout un éclairage spirituel sur ces récits, au travers de la perspective divine qu'ils présentent. Or les années qui ont séparé les derniers écrits de l'Ancienne Alliance et les évangiles sont des années de silence de la part de Dieu. Il n'est donc pas si étonnant qu'aucune lumière de sa part ne soit jetée sur cette période. En cela aussi, on voit que la Parole de Dieu maintient une continuité en ce qu'elle ne s'intéresse à l'histoire des hommes que du point de vue de Dieu.
Maintenant ce qui est le plus frappant dans cette période de silence, c'est la leçon spirituelle qu'elle renferme pour nous, car comme le rappelle Paul :
Ces choses leur sont arrivées pour servir d'exemples, et elles ont été écrites pour notre instruction, à nous qui sommes parvenus à la fin des siècles.
1 Corinthiens 10:11
Ici, l'exemple qui est laissé pour notre instruction est un avertissement solennel de la part de l’Éternel : en se détournant de Dieu, le peuple d'Israël a appelé sur lui le châtiment divin, mais il s'est aussi coupé de son Créateur. Tout comme Saül, après avoir résisté et désobéi au Seigneur, a non seulement été rejeté en tant que roi, mais a aussi été privé du conseil de Dieu (1 Sam 28:6), de la même manière, le dialogue entre le Saint d'Israël et son peuple a été rompu, et ce sont des temps d'obscurité qui ont suivi, jusqu'à ce que Dieu rétablisse cette communication au travers du ministère de son Fils et l'étende par la même occasion d'une manière formidable à toutes les nations.
Aussi, nous qui avons aujourd'hui entre les mains ces avertissements, nous devons-nous d'y être d'autant plus attentifs : dans sa patience, Dieu adresse inlassablement son appel à tous, et son désir, c'est que tous entendent sa Parole et soient sauvés (1 Tim 2:4), mais ceux qui choisissent délibérément la rébellion et ferment volontairement leur oreille à sa voix s'exposent au risque de ne plus l'entendre. Et à plus forte raison, que dire encore du chrétien charnel que son orgueil pousse à ne pas écouter les paroles et les conseils de Celui qu'il dit aimer ? Ne risque-t-il pas, comme le peuple d'Israël avant lui, de lasser la patience du Seigneur jusqu'à être coupé de la communion avec Lui ? Ne risque-t-il pas de voir la voix de Dieu s'éteindre complètement dans sa vie ?
Un temps de recherche
Selon le psalmiste, la Parole de Dieu est une lumière pour qui l'écoute (Ps 119:105, 130). Aussi lorsque cette parole se retire, les hommes se retrouvent livrés à eux-mêmes, en proie à leurs ténèbres. Et l'histoire du peuple d'Israël pendant cette période intertestamentaire l'illustre bien. C'est pendant ces années de silence divin, alors qu'ils étaient privés de la Parole du Dieu Tout-Puissant auquel ils pensaient appartenir, que leur conscience s'est réveillée : privés du temple détruit ou profané à plusieurs reprises (détruit lors de la ruine de Jérusalem et de la déportation en -586, reconstruit par Zorobabel en -515, puis profané par Antiochos IV en -168 mais purifié et reconstruit par Judas Macchabée en -165, avant l'arrivée du temple d'Hérode finalement détruit par Titus en 70...), les Israélites cherchent à retrouver ce qui faisait leur particularité en les démarquant des autres nations et commencent à vivre leur foi autrement.
Le culte du temple fait place aux rassemblements dans les synagogues, le culte monothéiste reprend de l'importance alors que celui des idoles est abandonné, mais il se charge de traditions humaines, s'alourdit d'interprétations rabbiniques légalistes ou mystiques des écritures (Talmud, Cabbale...). Alors que celui qu'Esaïe appelle la Lumière d'Israël (Es. 10:17) s'est retiré, le peuple cherche aveuglément à retrouver ce qu'il a perdu. Mais sans la direction de Dieu, cette recherche est vouée à l'échec : au saint sacerdoce de la tribu de Levi viennent succéder divers partis ou sectes qui enferment la vie religieuse du peuple dans des pratiques sans fondement scripturaire. L'ascétisme des Esséniens, le légalisme ostentatoire des Pharisiens, la vacuité spirituelle et l'ambition politique des Sadducéens... Le peuple ne trouve pour étancher sa soif de spiritualité que des courants dont la dérive est telle qu'elle s'attirera continuellement les critiques de Jésus et les empêchera de reconnaître le Messie, préférant le faire mourir plutôt que de perdre une partie de leur influence.
Plus que la déportation et la diaspora, finalement, c'est le silence de Dieu qui aura été le plus terrible châtiment du Seigneur à l'encontre de son peuple. Là encore, la leçon pour nous est extrêmement importante : plus que les bénédictions matérielles, que la réussite sur le plan social ou familial, c'est la communion avec Dieu qui est notre plus grand bien. Plus que tout autre chose, c'est cet accès libre que nous avons auprès de lui que nous devons chérir et protéger. Nous qui aujourd'hui bénéficions du ministère du Saint-Esprit dans nos cœurs et qui disposons de l'intégralité de la Parole écrite, nous nous devons de veiller à ne pas éteindre l'Esprit (1 Thess 5:19) ni nous priver des riches enseignements que Dieu nous communique au travers de l’Écriture. C'est au prix de son sang que Christ a rétabli pour nous cette communion avec le Père : qu'y a-t-il au monde de plus précieux que cela ?
Un temps de préparation
Enfin pour terminer sur une note plus positive, on pourra tirer un enseignement un peu plus optimiste de cette période critique de l'histoire d'Israël : alors que Dieu reste silencieux, il n'est pas pour autant complètement absent. Bien au contraire, le contexte historique, géographique, culturel qui est en train de se mettre en place nous prouve que malgré son mutisme, Dieu était à l’œuvre, préparant le monde pour l'étape suivante de son plan de rédemption.
Du point de vue d'Israël, Dieu s'était retiré. Le seul espoir qui leur restait et auquel ils s'accrochaient, c'était le retour d’Élie, précédant le jour du Seigneur et la venue du Messie, selon la prophétie de Malachie. Mais ce qu'ils ne discernaient pas, c'est que tout se mettait en place à leur insu pour favoriser non seulement cette venue mais aussi la diffusion de son message par la suite.
Au travers des différents empires qui se sont succédés (perse de -538 à -333, puis grec de -333 à -63 et enfin romain de -63 à 135), Dieu a "exhaussé les vallées, abaissé montagnes et collines" (Es 40:4). En permettant à ces empires païens de s'installer et de déployer leur langue, leurs infrastructures, leurs réseaux de communication dans toute l'Europe et le Moyen-Orient, Dieu est aussi en train de mettre en place un contexte extrêmement favorable à la diffusion de l’Évangile.
Au travers de la pax romana, le monde de l'époque a connu le plus grand empire uni de toute son histoire. Jamais dans l'histoire de l'Europe et du Moyen-Orient une région aussi étendue n'a été rassemblée sous une même autorité, une même administration. Grâce à la facilité des échanges, à la sécurité qui règne sur les voies maritimes et terrestres, les voyages missionnaires de Paul et de ses collaborateurs permettront en quelques années seulement au christianisme de s'étendre de l'Europe à l'Asie mineure. C'est même grâce aux lois de l'empire que Paul pourra aller annoncer l’Évangile jusqu'à Rome, profitant de sa citoyenneté romaine pour en appeler à César lors de son procès (Actes 25:11). Après les années de silence de l’Éternel, c'est donc une explosion qui se produit : sa parole est prêchée jusqu'aux extrémités de la terre connue, sa connaissance s'étend à toutes les nations, son salut se répand parmi tous les peuples.
Avec le recul que nous avons aujourd'hui, la sagesse de Dieu nous semble beaucoup plus évidente. Là où les juifs ne voyaient que tribulations à cause de l'oppression de ces différents envahisseurs, nous voyons aujourd'hui la merveilleuse providence de Dieu qui œuvrait à faciliter les déplacements et la communication tout autour de la Méditerranée.
Là encore, il y a une riche leçon spirituelle à en tirer : rien ne pourra faire obstacle à la fidélité de Dieu. La promesse du Sauveur, faite à l'homme dès sa chute (Gen 3:15) et régulièrement répétée et précisée, était en marche, et ce qui semblait être une des périodes les plus sombres de l'histoire d'Israël s'est finalement avéré être un temps de préparation, un temps pendant lequel Dieu travaillait à mettre en place le contexte qu'il avait prévu pour la venue de son Fils et la diffusion de son message. A l'instar de certains patriarches ou hommes de Dieu qui ont traversé des périodes sombres de leur vie avant de voir l'accomplissement des promesses qu'ils avaient reçues du Seigneur (les années d'esclavages de Joseph, celles de fuite devant Saül pour David...), le peuple de Dieu est passé par ces siècles d'obscurité au cours desquels les circonstances ont été conduites dans l'ombre par Dieu jusqu'à la révélation complète de son plan de salut.
Conclusion
Il se sera donc écoulé plus de quatre cents ans entre le moment où le point final a été posé au livre de Malachie et les premiers événements rapportés par les évangiles. Et pourtant, à la lecture de la Parole de Dieu, on pourrait presque croire que cette période n'a été qu'une courte parenthèse dans l'histoire biblique : l'histoire du Nouveau Testament s'ouvre sur l'accomplissement de la prophétie qui clôt l'Ancien, comme si rien ne s'était passé entre les deux. Pourtant, ce que nous savons de cette période de l'histoire du monde contient en filigranes des leçons importantes pour nous aujourd'hui.
D'une part, on peut y voir une mise en garde sérieuse : en refusant d'écouter Dieu, on s'expose au risque de le voir se taire et nous laisser livrés à nous-même, ce qui finalement était un châtiment plus grave pour Israël que sa dispersion parmi les nations. "Pour moi, m'approcher de Dieu, c'est mon bien" (Ps 73:28) disait Asaph en conclusion d'un psaume dans lequel il cherchait à comprendre les raisons de ses épreuves alors que les méchants semblaient réussir dans leurs entreprises. Pour nous aussi, l'accès au trône de Dieu ouvert par Christ est notre trésor, et veiller à ce que rien ne vienne y faire obstacle est une responsabilité que nous devons assumer avec joie.
D'autre part, on peut aussi voir dans cet épisode de l'histoire un message d'espoir et une démonstration de l'intelligence de Dieu à l'action : même au sein des épreuves, il était à l’œuvre. Alors qu'il semblait s'être éloigné, nous voyons qu'il avait toujours la situation dans sa main et qu'il était en train de faire en sorte que "toutes choses concourent au bien de ce qui l'aiment, de ceux qui sont appelés selon son dessein" (Rom 8:28). Voilà de quoi nous encourager à tenir dans les temps difficiles, car même au cœur de la nuit, sa main agit et conduit temps et circonstances en vue de la manifestation de son plan extraordinaire.