Maintenant, ne vous affligez pas, et ne soyez pas fâchés de m'avoir vendu pour être conduit ici, car c'est pour vous sauver la vie que Dieu m'a envoyé devant vous.
Genèse 45:5

22 ans. C'est le temps qui s'est écoulé entre les songes de Joseph et leur accomplissement^[1]. Dont 13 ans en tant qu'esclave puis en prison. Et pourtant, la Bible est assez discrète sur la façon dont Joseph a vécu toutes ces années d'épreuve. On sait qu'en tant qu'esclave, il a servi Potiphar avec zèle. Tenté par sa femme, il a résisté et a fini en prison pour cela. Dans les geôles égyptiennes, il a continué à s'illustrer par sa motivation à bien faire, jusqu'à y gagner des responsabilités. Et il faudra pourtant le songe inexplicable de Pharaon pour le rappeler au bon souvenir de l'échanson à qui il avait prédit son retour en grâce^[2].

Mais qu'a-t-il bien pu lui passer par la tête pendant tout ce temps ? Croyait-il réellement que ses rêves puissent être un message divin auquel il devait se préparer ? Ou s'était-il laissé décourager par ses frères, et même son père qui lui disait : "Faut-il que nous venions, moi, ta mère et tes frères, nous prosterner à terre devant toi ?" (Gen. 37:10) Se souvenait-il seulement de ses propres songes alors que les années passaient et que sa situation semblait empirer ?

Difficile à dire quand le texte ne le précise pas. Ce que l'on sait, c'est que sa conduite exemplaire dans chacune de ces situations laisse supposer que sa foi restait vivante malgré les difficultés et que c'est la crainte de trahir Dieu qui le pousse à agir de cette manière (Gen 39:9). Et lorsqu'on le voit interpréter avec assurance les rêves des deux serviteurs de Pharaon incarcérés avec lui, on peut supposer qu'il a une certaine sagesse spirituelle pour discerner un songe prémonitoire accordé par Dieu d'un simple rêve sans importance.

Il ne me semble donc pas si exagéré de supposer que Joseph avait compris le message que Dieu lui avait adressé dans sa jeunesse et qu'il s'attachait à en attendre l'accomplissement. Et pourtant rien n'arrivait. Certes, son message n'avait pas été accompagné d'une date d'expiration comme celui du panetier ou de l'échanson. Mais leur foi n'était pas la même. Eux n'avait aucune connaissance du Dieu d'Israël, et la précision de l'interprétation que leur a donné Joseph a servi de signe pour marquer son compagnon de cellule qui s'est souvenu, au moment opportun, de cet homme qui interprétait les rêves. Et c'est bien là tout notre problème : ce fameux "moment opportun" dont parle Heb 4:16 :

Approchons-nous donc avec confiance du trône de la grâce, afin que nous recevions miséricorde et que nous trouvions grâce pour avoir du secours au moment opportun.

Ce moment qui correspond exactement au dessein de Dieu, mais rarement au nôtre. Parce que notre vision est très limitée et que nous n'avons aucune idée du plan complet de Dieu pour notre vie. Et comme la plupart des êtres humains, il nous est bien plus simple de voir l'avantage immédiat que nous avons à nous sortir d'une situation gênante, que les impacts à (très) long terme de nos décisions. Et c'est assez normal. Nul n'est capable de prédire l'avenir. Tout n'est que conjectures et suppositions, aussi comme le dit La Fontaine, nous préférons nous en référer à la sagesse populaire qui nous rappelle "[qu']un tiens vaut mieux que deux tu l'auras".

Mais là encore, la sagesse de Dieu n'est pas celle des hommes, et nous en remettre à nos raisonnements nous apportera souvent des déceptions. Pourquoi Dieu me laisse-t-il m'enfoncer comme ça ? Pourquoi cette situation dure-t-elle depuis si longtemps ? Pourquoi Dieu ne m'accorde-t-il toujours pas cette bénédiction qu'il m'a faite miroiter dans le passé ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

J'ai beau m'être engagé avec Dieu il y a de cela de nombreuses années, je n'ai toujours pas la réponse à ces questions et je me sens toujours aussi désemparé face au calendrier de Dieu. Parfois, avec le recul, il nous arrive alors de pouvoir démêler une partie de l'intrigue qui s'est jouée sans qu'on la comprenne. Mais quel que soit les circonstances, j'aurai toujours l'exemple de Joseph qui n'a pas failli malgré une situation et des circonstances bien plus douloureuses que tout ce que j'ai pu traverser dans ma vie. Et le récit de sa vie me rappelle que ce n'est pas pour rien que Dieu nous conseille dans le livre des Proverbes :

Confie-toi en l'Eternel de tout ton cœur, Et ne t'appuie pas sur ta sagesse;
Prov. 3:5

Lui seul sait par où il a prévu de me faire passer, et je ne saurais probablement pas pourquoi il a choisi ce chemin plutôt qu'un autre. Mais je sais qu'il veille et que le but qu'il a prévu est bon pour moi. Et il ne me reste plus qu'à attendre patiemment, comme Joseph, ce moment opportun où je verrai son secours se manifester.