En lisant le dernier billet de David Porter l'autre jour, j'y ai trouvé un concept un peu bizarre : le fait que souvent, l'accomplissement d'une promesse de Dieu est précédée par la perte de cette promesse. Comme si Dieu nous demandait, avant de recevoir ce qu'il a promis, de passer par un temps où cette attente ne nous aura jamais paru aussi irréalisable, de traverser une épreuve qui nous demande de renoncer à l'espoir même de son accomplissement.

Et ce matin, en me rasant (comme quoi, les moments devant la glace peuvent être propices à la réflexion[1] !), cette pensée me revenait à l'esprit, avec encore une fois l'exemple d'Abraham. Je sais que ça fait déjà plusieurs fois que je médite sur cet épisode un peu spécial où la foi du patriarche a été mise à rude épreuve, mais il faut croire qu'il est suffisamment riche en enseignements pour ça.

Bref, pour en revenir à l'idée de départ, ce qui m'a travaillé cette fois-ci, c'est le fait qu'en demandant à Abraham de lui sacrifier son fils, Dieu est quelque part en train de lui dire de renoncer à la promesse. Parce qu'à l'origine, Dieu avait annoncé plusieurs choses à Abraham. Il lui a tout d'abord promis que le pays dans lequel il vivait appartiendrait à sa postérité :

L'Eternel apparut à Abram, et dit: Je donnerai ce pays à ta postérité. (Gen 12:7)

Un peu plus loin, il a ensuite ajouté que cette descendance serait innombrable :

Tout le pays que tu vois, je le donnerai à toi et à ta postérité pour toujours. Je rendrai ta postérité comme la poussière de la terre, en sorte que, si quelqu'un peut compter la poussière de la terre, ta postérité aussi sera comptée. (Gen 13:15-16)

Quelques temps plus tard, Dieu précise encore sa promesse en confirmant à Abraham que son héritier ne sera pas simplement quelqu'un de sa famille ni même son fidèle serviteur Eliezer, mais sera réellement son fils :

Abram répondit : Seigneur Eternel, que me donneras-tu ? Je m'en vais sans enfants ; et l'héritier de ma maison, c'est Eliézer de Damas.
Et Abram dit: Voici, tu ne m'as pas donné de postérité, et celui qui est né dans ma maison sera mon héritier.
Alors la parole de l'Eternel lui fut adressée ainsi : Ce n'est pas lui qui sera ton héritier, mais c'est celui qui sortira de tes entrailles qui sera ton héritier. Et après l'avoir conduit dehors, il dit: Regarde vers le ciel, et compte les étoiles, si tu peux les compter. Et il lui dit: Telle sera ta postérité. (Gen 15:3-5)

Et comme Abraham a un peu de mal à laisser faire Dieu et qu'il a fallu qu'il essaye d'aider un peu la promesse à s'accomplir en écoutant les conseils de Sara et en couchant avec sa servante Agar, il faudra que Dieu revienne encore une fois à la charge avec plus de précisions encore : ce n'est pas Ismaël non plus qui est l'héritier de la promesse mais bien un fils qui naîtra d'Abraham et Sara.

Dieu dit à Abraham : Tu ne donneras plus à Saraï, ta femme, le nom de Saraï ; mais son nom sera Sara. Je la bénirai, et je te donnerai d'elle un fils ; je la bénirai, et elle deviendra des nations; des rois de peuples sortiront d'elle.
Abraham tomba sur sa face ; il rit, et dit en son cœur : Naîtrait-il un fils à un homme de cent ans ? et Sara, âgée de quatre-vingt-dix ans, enfanterait-elle ? Et Abraham dit à Dieu : Oh ! qu'Ismaël vive devant ta face !
Dieu dit : Certainement Sara, ta femme, t'enfantera un fils ; et tu l'appelleras du nom d'Isaac. J'établirai mon alliance avec lui comme une alliance perpétuelle pour sa postérité après lui. (...) J'établirai mon alliance avec Isaac, que Sara t'enfantera à cette époque-ci de l'année prochaine. (Gen 17:15-21)

Bref, à force de chercher à simplifier les choses pour Dieu, en lui proposant de se contenter d'Eliezer, puis d'Ismaël comme héritier, Abraham a obligé l'Eternel à être à chaque fois plus précis dans ce qu'il a promis, comme pour lui montrer à quel point il le sous-estime. Lorsque c'est Dieu lui-même qui fait la promesse, il est facile de douter et de chercher à se rabattre sur la manière la plus simple de l'accomplir, comme pour limiter les chances d'être déçu. Pourtant, c'est lorsqu'elle se réalise de la manière la plus improbable et la plus inattendue que Dieu en est le plus glorifié.

Est alors enfin arrivé le fils de la promesse. Mais la naissance de ce fils n'a pas suffit à complètement convaincre Abraham puisqu'il faudra que Dieu lui rappelle encore une fois les termes de la promesse :

Mais Dieu dit à Abraham: Que cela ne déplaise pas à tes yeux, à cause de l'enfant et de ta servante. Accorde à Sara tout ce qu'elle te demandera; car c'est d'Isaac que sortira une postérité qui te sera propre. (Gen 21:12)

Arrive alors le fameux moment où Dieu exige de lui ce sacrifice. Allez comprendre. Après avoir passé des années à répéter à Abraham qu'il lui donnera une postérité innombrable au travers d'Isaac et de personne d'autre, le Seigneur lui demande maintenant d'y renoncer. Maintenant que la promesse est certaine, maintenant que son accomplissement est proche et plus réel que jamais aux yeux d'Abraham, la sentence tombe de manière brutale : renonce à Isaac, renonce à cette promesse que je t'ai faite.

C'est là finalement que je retrouve l'idée que partageait David dans son article : avant de saisir complètement certaines promesses, Dieu nous demande parfois d'y renoncer. Comme on le répète souvent au point d'en faire une phrase un peu bateau, Dieu ne veut pas que nous nous attachions à ses promesses, mais au Dieu qui a fait les promesses. Ce qui implique parfois une mise à l'épreuve aussi incompréhensible que celle qu'a traversée Abraham.

J'imagine bien qu'il aurait pu dire à Dieu :

"Mais ça n'est pas logique ! Tu m'as seriné des années avec cette promesse, tu m'as fermé toutes les autres portes à chaque fois que je t'ai offert une solution plus simple pour me confirmer qu'Isaac serait le seul héritier de ce pays que tu veux me donner, et maintenant tu veux me le reprendre alors qu'il n'est encore qu'un jeune homme et qu'il n'a pas fondé de foyer ? Faudrait savoir ! Tu me la donnes ou pas cette promesse ?"

Ou du moins, c'est sûrement ce que j'aurais dit à sa place il y a encore quelques jours. Mais aujourd'hui, je crois qu'Abraham avait déjà assimilé cette leçon. Avec tous les obstacles que Dieu avait volontairement surmontés pour lui accorder ce fils, même le pire des sacrifices devait avoir une signification. Et sans même savoir comment Dieu pourrait retourner la situation, il a accepté le chemin qui lui était indiqué. Peut-être qu'il avait enfin retenu la leçon de ses précédentes hésitations, qu'il avait compris qu'en essayant de simplifier la tâche du Tout-Puissant, on ne fait que lui mettre des bâtons dans les roues. Mieux vaut encore accepter ce qu'il demande, même si cela nous semble illogique, plutôt que d'essayer de trouver nous-même une solution de secours pour contourner le problème.

C'est comme ça qu'Abraham s'est résolu dans son cœur à laisser mourir la promesse si près du but. Si c'est de cette manière que Dieu doit en être glorifié, alors que ta volonté soit faite. Mais c'est aussi à ce moment-là qu'elle lui a finalement été définitivement acquise. Comme quoi, la logique du royaume de Dieu va bien souvent à l'encontre de nos propres conceptions. Bien malin qui saura dire à l'avance comment l'Eternel agira, si ce n'est parce que Lui-même l'a révélé.

C'est par la foi qu'Abraham offrit Isaac, lorsqu'il fut mis à l'épreuve, et qu'il offrit son fils unique, lui qui avait reçu les promesses, et à qui il avait été dit : En Isaac sera nommée pour toi une postérité. Il pensait que Dieu est puissant, même pour ressusciter les morts ; aussi le recouvra-t-il par une sorte de résurrection.
Heb 11:17-19

Notes

[1] Ok, elle est nulle cette blague, je vais de ce pas la proposer à Carambar...