Il y a de cela quelques années, au tout début de ce blog, je me souviens avoir posté un billet dont le titre laissait supposer le début d'une série. Depuis le temps que ce billet est resté seul dans sa série, il serait temps de lui ajouter un peu de compagnie et j'avais justement en tête ces derniers jours une petite réflexion sur une autre des promesses de Dieu : celle de la joie. De Sa joie. Celle qui permet à Paul de dire aux Philippiens :

Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur; je le répète, réjouissez-vous. (Phil 4:4)

Masques

Parce que pris hors de tout contexte, cet encouragement a tout pour surprendre. Est-ce que la joie peut se commander ? Est-ce qu'on peut être continuellement joyeux, même dans les épreuves les plus dures ? Est-ce que le chrétien n'est jamais censé passer par des moments de tristesse ou de découragement ?

Bref, quand on y regarde bien, voilà un verset qui peut soulever beaucoup de questions. Ou au contraire facilement mener à des déclarations à l'emporte-pièce si on le survole de manière trop hâtive. Ici un pasteur proclame qu'un vrai chrétien ne devrait jamais déprimer. Là un autre s'acharne à convaincre ses auditeurs que la joie n'est qu'un choix à faire qui ne relève que de leur responsabilité. Et au fond, un croyant se morfond dans la culpabilité en voyant qu'il n'arrive pas à vivre ce qu'on lui rabâche sans ménagement...

Après tout, Jésus lui-même a déclaré à ses disciples :

Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. (Jean 15:11)

Une joie parfaite ! Il y a de quoi donner envie. Mais quand je parcours les Psaumes (comme le 13, 73 ou tant d'autres...) ou même le livre des Lamentations de Jérémie, j'y trouve de nombreuses paroles de désespoir prononcées par des hommes de Dieu. Quand je lis l'histoire d'Élie, je vois un prophète puissant qui se laisse abattre jusqu'à demander la mort. La foi de ces hommes-là ne fait pourtant aucun doute. David est décrit comme un homme selon le cœur de Dieu (Actes 13:22), Élie est cité régulièrement dans le Nouveau Testament comme l'un des plus grands prophètes de l'ancienne alliance, tout en étant "un homme de la même nature que nous" (Jacques 5:17). Si même les plus grands ont faibli, comment pourrions-nous prétendre faire mieux ?

Néanmoins, m'arrêter à de telles constatations serait tout aussi déséquilibré. J'ai déjà partagé quelques réflexions sur ces deux hommes en particulier dans le passé, ainsi que les leçons encourageantes que j'avais tirées de leurs expériences. Mais ces derniers temps, je suis surtout tombé sur un verset qui m'a frappé au point de tourner en boucle dans ma tête depuis plusieurs jours :

Mieux vaut le chagrin que le rire; car avec un visage triste le cœur peut être content. (Ecclésiaste 7:3)

La première chose qui m'a interpellé dans ce verset, c'est qu'il décrit une situation qui m'a semblé pour le moins inhabituelle : autant il m'est déjà arrivé (et je crois que je ne suis pas le seul), d'afficher un visage serein ou joyeux comme un masque pour ne pas laisser transparaître la tristesse qui m'habitait, autant l'idée de faire l'inverse ne m'a généralement pas traversé l'esprit. A quoi bon camoufler sa joie ?

Mais je crois que ce verset nous parle de quelque chose de plus profond, de bien plus fort que cela, quelque chose qui a un lien direct avec la parole de Jésus dans Jean 15. Parce que lorsqu'il précise à ses disciples que les paroles qu'il leur a communiquées ont pour but d'amener leur joie à la perfection, je remarque surtout que ce petit verset 11 et entouré de deux parties tout aussi importantes. Il se trouve en plein milieu du discours de Jésus lors de son dernier repas avec ses disciples, comme une transition entre les deux grands enseignements de ce monologue qui s'étend sur plusieurs chapitre.

Dans la première partie, à laquelle Jésus fait référence en début de ce verset 11, il insiste sur une nécessité de la vie chrétienne : "Demeurez en moi, et je demeurerai en vous" (Jean 15:4). En se basant sur l'exemple de sa relation avec le Père puis sur celle du cep et des sarments, Jésus insiste longuement sur l'importance de "lui rester attacher", de "demeurer dans ses commandements". Dans le début de ce chapitre et dans celui qui le précède, Jésus souligne que cet attachement à lui va de paire avec un attachement à ses paroles, à ses commandements, et qu'un tel dévouement sera motivé par l'amour. En même temps, il explique que cette attitude amènera ses disciples à porter des fruits qui le glorifieront.

Et d'un coup, après cette première partie qui est censée communiquer aux disciples sa joie parfaite, il passe à un sujet beaucoup plus sombre :

Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous. (Jean 15:18)

Sauter de la joie en Christ aux persécutions, voilà une transition pour le moins brutale ! Mais à plusieurs reprises, Jésus explique les raisons de son discours : pour soutenir la foi des disciples (Jean 14:29), pour leur communiquer sa joie (Jean 15:11) et pour les encourager en tenir ferme lorsque ces tribulations surviendraient (Jean 16:1). Malheureusement, sur le moment, elles ont produit l'effet inverse sur les disciples :

Mais, parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur. (Jean 16:6)

Toutes ces recommandations, ces mises en gardes, ça faisait beaucoup à assimiler d'un coup pour les douze. La compréhension qu'ils avaient de tout cela étaient encore trop limitée pour leur permettre d'en réaliser toute la portée. Mais Jésus a aussi souligné que le but de ces paroles aurait un impact dans leur vie qui dépasserait le cadre de cette soirée fatidique :

Je vous ai dit ces choses, afin que, lorsque l'heure sera venue, vous vous souveniez que je vous les ai dites. (Jean 16:4)

De même au chapitre 14, il avait anticipé :

Je vous ai dit ces choses pendant que je demeure avec vous. Mais le consolateur, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. (Jean 14:25-26)

En fait, dans la pensée du Seigneur, ses disciples ne connaîtront cette joie qu'après l'accomplissement de sa mission, après sa crucifixion et surtout après sa résurrection :

Vous donc aussi, vous êtes maintenant dans la tristesse ; mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira, et nul ne vous ravira votre joie. (Jean 16:22)

Finalement, en prenant cet enseignement dans sa globalité, je crois qu'on y retrouve un peu l'idée évoquée par l'Ecclésiaste. La joie qui vient de Dieu n'est pas liée aux circonstances. Dans les Ecritures, et le Nouveau Testament en particulier, il est souvent fait allusion à la joie, mais cette joie céleste a des racines bien plus profondes que celle que connaît le monde.

Ce qui permet à notre joie de perdurer même dans l'épreuve ou la souffrance, c'est qu'elle s'appuie sur des fondements immuables. Dans les versets déjà cités, Jésus déclare que ce sont ses paroles qui sont censées être source de joie, et les enseignements qu'elles contiennent, en particulier son appel à une communion profonde avec lui. Ce message a tellement marqué l'apôtre Jean qu'il y fait de nouveau allusion dans sa première épître :

Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Or, notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ. Et nous écrivons ces choses, afin que notre joie soit parfaite. (1 Jean 1:3-4)

Ensuite, la deuxième base solide qui soutient note foi, c'est l'assurance de notre salut et la confiance parfaite dans la puissance de Dieu pour nous garder jusqu'à l'accomplissement notre destinée :

Jésus-Christ (...) que vous aimez sans l'avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore, vous réjouissant d'une joie ineffable et glorieuse, parce que vous obtiendrez le salut de vos âmes pour prix de votre foi. (1 Pierre 1:8-9)

Cette fois-ci, c'est l'apôtre Pierre qui souligne la source de la joie des chrétiens dispersés à qui il s'adresse. Et lui aussi va rappeler que la présence de cette joie n'empêchera pas toutes sortes d'épreuves de nous attrister de manière temporaire et superficielle : Dieu a régénéré les croyants et leur a donné la ferme espérance d'un héritage éternel, les préservant par sa puissance en vue du salut, et "c'est là ce qui fait votre joie", en dépit des épreuves qu'ils traversent (1 Pierre 1:3-6). Et Jacques va même plus loin en appelant ses lecteurs à se réjouir même des épreuves, puisqu'elles contribuent à l'affermissement de leur foi (Jacques 1:2-4).

C'est l'exemple que nous laissent les Thessaloniciens :

Et vous-mêmes, vous avez été mes imitateurs et ceux du Seigneur, en recevant la parole au milieu de beaucoup de tribulations, avec la joie du Saint Esprit, (1 Thess 1:6)

Voilà pourquoi Jésus a annoncé à ses disciples :

Heureux serez-vous, lorsqu'on vous outragera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux; car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous. (Matth 5:11-12)

Et encore dans le récit de Luc :

Cependant, ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux. (Luc 10:20)

Au vu de tout cela, on constate que Paul a finalement raison d'appeler les Philippiens à se réjouir continuellement. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons à chaque instant arborer un grand sourire en sautant partout. Mais c'est surtout un rappel indispensable de ce que nous ne devrions jamais oublier, quitte à passer pour des fous : même au cœur des heures les plus sombres de notre vie, même lorsque nos circonstances nous plongent dans l'abattement, notre cœur peut malgré tout continuer à éprouver cette joie paisible qui vient de Christ, parce que rien au monde ne pourra changer ce qui en fait la force !